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Notre manifeste

Soigner – Manifeste pour une reconquête de l’hôpital public et du soin*

Les furtifs

Nous avons choisi ce nom pour signer notre écriture collective en hommage à l’ouvrage éponyme d’Alain Damasio, pour le souffle qu’il nous inspire.

Redresser la tête, ne plus la garder sous l’eau, voilà le défi que nous entendons relever !
 
Nous appelons à faire collectif pour nous réapproprier notre liberté de penser, nous appelons à travailler ensemble et faire naître de tout bois la démocratie réelle, celle du débat, dans notre pratique de tous les jours.
 
La santé, les services publics de santé, le « prendre soin » avec l’épidémie, n’ont jamais été autant au cœur de nos vies. Aussi voulons-nous les remettre au cœur de la cité. Nous voulons en faire l’affaire de tous, une res publica.

Inventer une res publica du soin

« Bien plus, il était même obligé de sentir que son existence entière, avec toute sa beauté et sa mesure, reposait en fait sur un arrière-fond, voilé de souffrance et de connaissance que le dionysiaque lui faisait redécouvrir. Et voici qu’Apollon ne pouvait vivre sans Dionysos ! »

Friedrich Nietzche, Naissance de la tragédie

Provoquons la rencontre, réenchantons la discorde, débattons, sortons dans la cité ! Saisissons-nous de ce moment sans précédent, défions l’urgence et la sidération, brisons les murs, les murs de l’hôpital, des spécialités, des silos, des hiérarchies. Rencontrons la ville, la banlieue, la campagne. Abolissons le langage managérial, réinventons l’hospitalité en santé, refaisons langage commun, réapproprions-nous nos métiers, nos corps.  Prenons le temps de réfléchir ensemble, apprenons à nous connaître dans nos diversités, mettons nos expériences et nos savoirs en commun.

Lorsque l’idée a germé de lancer notre Appel à la création d’un Atelier pour la refondation du service public hospitalier, nous étions sous le choc du premier confinement, bouleversés par l’épidémie dans nos têtes et nos métiers. A ce moment-là le monde était divisé en deux : ceux qui étaient supposés applaudir aux fenêtres le soir à 20 heures et ceux qui étaient en premières lignes, certains dans les tranchées de l’hôpital pour sauver nos vies. Un univers présenté comme héroïque et binaire qui pour autant n’est pas parvenu à masquer le mouvement social inédit déjà engagé depuis des mois : soignants, personnels administratifs, techniques, des secteurs du social et médico-social, tous alertaient sur l’accélération de la dégradation de leurs conditions de travail mais surtout de notre système sanitaire et social dans son ensemble, menacé au point de mettre en danger les patients eux-mêmes.

COVID 19 : L’heure n’était plus à la contestation, ni même au débat, encore moins à la réflexion ; nous aurions frôlé l’indécence ! 
 
Et puis l’hôpital public jusqu’ici a tenu ! Oui, mais à quels prix ? Au prix d’un engagement sans limites des travailleurs du soin, au prix de confinements successifs aux conséquences sociales, psychologiques, économiques sans précédent, au prix de reports de prises en charge d’autres pathologies et d’un risque accru de « perte de chance » de guérison, au prix donc de la rupture du principe d’égalité d’accès aux soins…

Dans ce tumulte cependant un événement s’est produit, une fenêtre s’est ouverte. Sous la violence de l’épidémie et pour y faire face nous avons assisté à un fait majeur. A plus d’un endroit le carcan managérial et financier a sauté, craqué, frappé de son inutilité. La fabrique du contrôle qui s’était installée à l’hôpital a dû céder le pas devant la nécessité, redonnant aux soignants eux-mêmes le pouvoir de s’organiser pour soigner. Quelques lueurs d’espoir ont alors surgi. Certains se sont réappropriés leurs métiers, en ont à nouveau perçu son sens, redécouvert le goût de l’autonomie et du collectif de soin, expérimenté l’auto-organisation, le pouvoir d’être inventifs, de désobéir aussi, parfois avec une administration qui, dans certains cas, n’a pas hésité à suivre et accompagner ces initiatives.

Cette fenêtre, nous voulons nous y arrêter, nous voulons en parler, la partager.  A partir d’elle, à partir de nos vécus et de nos expériences, de ce que cette crise sanitaire a produit sur notre travail, de nos pratiques de terrain, nos savoirs intellectuels aussi, nous souhaitons produire un véritable débat visant à reconquérir le soin en posant les bases d’une autre manière d’offrir le service public de santé.
 
Nous refusons que la question de la santé, du service public hospitalier, et du service public de santé en général, reste l’affaire de spécialistes, d’experts, de cabinets de conseil.
 
Nous voulons reconquérir démocratiquement le sujet, reconquérir notre pouvoir de citoyens actifs aux savoirs légitimes, nous refusons l’idée d’une citoyenneté passive, reposant uniquement sur la délégation de notre pouvoir aux représentants élus et aux institutions d’État.

Lorsque notre Appel a paru, au début de l’été 2020, le fameux « Ségur de la santé » s’achevait sur une note bien amère. Annoncé suite aux mobilisations des secteurs sanitaires et médico-social et en écho au « quoi qu’il en coûte » du président de la République, ce grand raout largement médiatisé voulait nous faire croire que seraient enfin reconnues les revendications si justifiées des soignants et que nous pourrions reconstruire notre système de santé en faillite. In fine, ce grand raout n’a fait que réaffirmer la poursuite des politiques en matière de santé publique menées depuis plusieurs décennies, tout en affaiblissant le mouvement social de la santé.
 
Nous avons alors redoublé de rage et de colère de ne pas avoir été entendus.
 
Nous tînmes notre premier atelier à Montreuil en octobre, « en chair et en os ». Un acte en lui-même subversif, un tour de force en pleine épidémie, tellement épaisse était déjà la chape de peur, d’angoisse et de contraintes sanitaires.

Ce fut une fête, un vrai bonheur en somme de nous rencontrer, citoyens si différents que nous étions :  psychiatres, aides-soignants, infirmiers, chirurgiens, médecins généralistes, patients et usagers militants, sociologues, économistes, ergonomes, anesthésistes, réanimateurs, psychologues, cardiologues….
 
L’atmosphère était essentielle à nos yeux pour cette première rencontre : le choix d’un lieu accueillant, son hospitalité, son ambiance comme l’importance de débattre en cercle, sans estrade ni hiérarchie de position ou de savoirs.  Nous y tenons.
 
Ce premier moment de rencontre fut intense, déstabilisant parfois, d’une richesse vertigineuse aussi.
 
Nous en repartîmes un peu perdus face à l’immensité de la tâche, mais avec la conviction d’avoir initié quelque chose d’important qu’il nous fallait faire vivre et déployer.

Car vouloir faire débat créatif, c’est d’abord écouter l’autre, celui que l’on ne connaît pas, c’est prendre le risque d’aller là où l’on ne va jamais, c’est accepter de ne pas tout comprendre tout de suite, de ne pas être compris non plus tout de suite, c’est sortir de ses balises de pratiques et de pensée, c’est accepter la discorde, accepter de douter, de s’interroger, de se livrer aussi.
 
Il faut du temps pour la rencontre.
 
Du temps pour prendre conscience par la parole de toute l’importance qu’il y a à décloisonner les métiers, les disciplines, les savoirs sur le soin, à organiser la rencontre avec les sciences sociales, les savoirs et les pratiques populaires, à défaire des frontières trop souvent étanches.
 
Débattre de façon démocratique, c’est mettre en commun nos savoirs et nos pratiques, nos visions différentes du monde, à partir de notre place à chacun, pour ensuite imaginer, inventer, ensemble.

Nous avons appris qu’il faut du temps et un lieu propice à la rencontre, afin de faire advenir la parole de celles et ceux qui ne parlent pas, que l’on n’entend pas, que l’on n’autorise pas, qui ne s’autorisent pas.

Refaire langage commun, mettre en pièce la langue-machine, lui tourner le dos

« La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste, elle est tout simplement fasciste ; car le fascisme ce n’est pas d’empêcher de dire mais d’obliger à dire »

Roland Barthes, Leçon inaugurale au collège de France, 07 janvier 1977

Chacun en a fait l’expérience à l’hôpital. Depuis la Hôpital Patients Santé Territoire de 2009, est apparue en simultané une réorganisation des soins indissociable d’une technostructure invasive. Elle l’est par sa langue machine qui brouille l’assise des soignants en premier lieu par le simple fait d’entendre et de parler autrement sur le lieu même du soin. Il s’agit là de fragiliser la cohérence des équipes en leur imposant d’endosser l’expansion d’une langue nouvelle, la novlangue du nouveau management public. Celle colportée par les instances décisionnaires pour plus de rentabilité et relayée par les soignants au quotidien. Inaudible, elle consiste en une simplification lexicale, une inversion de sens qui visent à limiter l’expression de critique contre l’État (1984, G.Orwell).

Ça sort de nulle part, impossible d’y échapper puisque ça vise à dompter le cœur de l’hôpital, son capital humain.
Ça parle dispositif-plate-forme-territorialité à toutes les sauces, organisation polaire-comité exécutif-forum de pôle, facteur humain, patient traceur.

La diffusion d’une telle pollution du dire est d’autant plus rapide que partout l’outil numérique accélère sa dispersion jusqu’à l’échelon individuel du corps hospitalier, tous métiers confondus.

À nos dépens, nous avons compris que la novlangue attaque la base d’un bâti commun, celui du langage courant. Celui qui rend possible la rencontre, le dialogue donc l’altérité. Parler et se parler au travers d’une langue truffée d’acronymes, d’inversion de sens, de glissements sémantiques, de néologismes rend fou.

Ça dispense le pouvoir de tout dialogue constructif, de tout rapport de force démocratique. On se coltine la surdité d’en face et l’incompréhension totale comme expérience partagée. Ceux qui la colportent comme ceux qui la subissent parfois dévissent.

Ça fait des trous, des torsions, des carambolages dans le ciboulot jusque dans l’inconscient collectif. Ça ouvre grand le champ des actes sans pensée, du front de la servitude jusqu’au tranchant.

Faut-il s’aligner aux ordres ? Comme ceux de la Cellule Qualité réclamant la traçabilité des patients, ou encore les R.E.X (retour d’expériences de la gestion des risques) sur des formulaires préétablis, uniquement. Ou encore en pleine pandémie, un premier message fut l’envoi de la cotation de la téléconsultation. Une cellule qualité qui demande à ses ouailles comment ça va, ça n’existe pas en novlangue !

Alors il n’est plus temps d’en examiner les contours, de la répertorier, de la disséquer, de la mettre en pièce. Il est trop tard car la langue-machine n’est plus au dehors, elle a déjà colonisé toutes les pratiques de soin. Elle tapisse nos antres et fait avancer la machine-entreprise de l’hôpital jusqu’à destituer le sens premier de nos métiers par effet ultime de soumission, de dépossession, d’étatisation.

Il est grand temps de lui tourner le dos en gardant l’oreille aux aguets et l’esprit vif à toutes dissonances tonales des mots. Ne rien laisser passer du non-sens établi par évidence.

Se réapproprier le langage de nos métiers équivaut à préserver nos savoir-faire, à hauteur d’une zone à défendre.

Il nous faut être en nombre, en connivence et en force sur cette question du dire et du parler vrai dans les métiers du vivant. Faire front à la perversion outillée de la novlangue qui rend banal l’écrasement des mots et leur pouvoir d’émancipation.

Démocratie je crie ton nom ! Réenchanter la démocratie sanitaire

« Il faut brûler pour arriver, consumé au dernier feu »

Pier Paolo Pasolini, Journal 1948-1953

Il est aussi de ces mots, tel celui de « démocratie sanitaire », qui circulent ici et là, dissociés de l’histoire qui les fonde, perdant peu à peu de leur essence.
La naissance de la démocratie sanitaire prend corps dans la rage des premières victimes d’une autre pandémie, celle du sida ; des victimes stigmatisées, confrontées à la peur et au deuil, parias abandonnés par leurs familles ou livrés à eux-mêmes dans la chambre d’un hôpital par peur de l’inconnu. Une rage qui a été le moteur d’une mobilisation collective dans un geste éminemment politique – décider d’agir pour ne pas subir -, une rage qui les a amenées à ouvrir des espaces de solidarité, à créer un rapport de force y compris avec l’industrie du médicament, à s’approprier le savoir médical concernant leur santé, à jeter les bases d’un changement de rapports entre soignants et soignés.

C’est donc là que la démocratie sanitaire plonge ses racines. Écoutons celles et ceux qui en ont été les acteurs.

L’histoire compte. Elle est indispensable pour interroger notre présent et inventer demain.

Aujourd’hui où en sommes-nous ? La pandémie de covid 19 s’est avérée être un puissant révélateur du manque de considération pour la parole des patients et de leurs familles par le pouvoir d’État. Au sein des Ehpad elle a également révélé l’effroyable état de cette question : des « résidents » oubliés, exilés du monde, dont la parole a été anéantie, à qui on a confisqué la voix, des femmes et des hommes dont certains sont morts seuls, interdits du moindre lien affectif. Les mêmes auxquels a ensuite été demandé un « consentement éclairé » pour se faire vacciner…

Où est la rage ? Les représentants d’usagers officiels, institutionnels, ceux-là mêmes qui siègent aujourd’hui dans toutes les institutions sanitaires, n’ont pas pu être entendus ou pas été en mesure de s’organiser pour prendre la parole. Nulle part ne nous a été donné à voir naître cette rage, et encore moins la voir se transformer en un véritable mouvement à l’image de celui qui a émergé lors de la pandémie du sida.

Alors, où en sommes-nous ? Certains collectifs de soignants appellent à une refonte de la gouvernance de l’hôpital public et demandent à ce que cette nouvelle gouvernance soit partagée avec les usagers. Mais de quoi est-il question concrètement ? De quelle « gouvernance* » parle-t-on ? Pour quelle redistribution des pouvoirs, avec quels usagers, représentants de qui et selon quels principes démocratiques ? Sortons du débat confiné, ouvrons en grand cette question, mettons-là sur la place publique.

Car une rage sourd, certainement, à l’ombre de la machine médiatique et gouvernementale.

Des initiatives citoyennes sont menées sur les territoires, ancrées dans les quartiers populaires, certaines selon des pratiques communautaires et des maillages puissants. Elles ont investi l’espace public et les vies intimes dans des mouvements de solidarité et d’entraide dès le début de la pandémie et bien avant. Que nous apprennent ces initiatives populaires, d’elles, de nous, de la démocratie en santé, de la démocratie tout court, dans notre société aujourd’hui ?

Écoutons, débattons et appelons à réinventer ensemble une véritable démocratie sanitaire, à partir de laquelle pourrait être repensé l’ensemble de notre modèle de société.

Redonner vie aux collectifs de soin

« Chaque action collective, chaque société supposent une discipline et l’individu, sans cette loi, n’est qu’un étranger ployant sous le poids d’une collectivité ennemie. Mais société et discipline perdent leur direction si elles nient le ”Nous sommes” »

Albert Camus, L’homme révolté.

« ..en même temps préserver la dimension de singularité de chacun. C’était dans cette sorte de « bifurcation » que se posait cette notion de Collectif »

Jean Oury, Le Collectif.

Car c’est aussi de démocratie dont il est question dans les témoignages de Montreuil concernant le travail. Lorsque, pendant le premier pic de la pandémie, les marges de manœuvre ont été étroites, lorsque l’organisation du travail s’est montrée rigide, imposée par le haut, sur injonction de cellules de crise souvent très hiérarchisées et opaques, lorsque les équipes n’ont pas eu la possibilité de « bouger », de bousculer les lignes, d’inventer une autre façon de faire pour soigner dans cette situation inédite, alors des effets extrêmement délétères ont été observés, autant pour les praticiens que pour les patients.

A contrario, en l’absence d’injonctions autoritaires et descendantes ou lorsque ces dernières ont été contournées, des collectifs de soin ont pu s’inventer. Les équipes ont pu acquérir ou retrouver de l’autonomie et s’auto-organiser. En se rencontrant souvent pour la première fois entre spécialités et métiers variés, en débattant, échangeant, en créant de la controverse, en reconnaissant l’autre et ses compétences dans le processus de soin face à une maladie dont tout le monde ignorait tout au départ, elles ont pu élaborer un niveau de connaissance commune, elles ont pu co-construire, déconstruire, reconstruire ensemble des règles, développer des gestes professionnels et des pratiques parfois informelles pour « bien travailler », au plus près de la réalité du terrain, du patient.

Il nous faut poursuivre la réflexion et le débat sur les collectifs de soin. Pourtant essentiels au travail du soin, ceux-ci ont en effet été très fortement mis à mal ces dernières années par le mouvement de rationalisation managériale, lequel a déstabilisé les repères de métier et les coopérations. Des réorganisations incessantes sont ainsi imposées aux professionnels qui n’ont plus leur mot à dire, au mépris des savoirs et des expériences accumulés, au mépris des conditions nécessaires à la réalisation d’un travail de qualité.

Les organisations ne donnent plus les moyens d’assurer des soins convenablement mais peu importe, ce sont les professionnels qu’on incrimine, qu’on culpabilise de ne pas y arriver, et auxquels on reproche de ne pas savoir s’organiser lorsqu’ils réclament des moyens – comme si les moyens ne faisaient pas partie de l’organisation !
Nombre de professionnels de l’hôpital se retrouvent alors à endurer un travail dégradé en termes de qualité, proprement insupportable à leurs yeux, auquel ils n’échappent parfois qu’au prix d’un gaspillage d’énergie pour esquiver les obstacles organisationnels et d’un engagement sans faille mais épuisant.

Il est essentiel de regarder avec précision comment se sont formés ces collectifs de soin avant ou durant les épisodes covid, de déterminer où ils ont plus précisément émergé dans ce moment très particulier où les hôpitaux déclenchaient les fameux plans blancs* et déprogrammaient massivement la prise en charge des patients non-covid et où tous les regards étaient braqués sur les services de réanimation pour adultes. Car c’est aussi dans l’ombre de l’avant-scène que certaines de ces expériences et initiatives ont fleuri, parfois dans la clandestinité et la désobéissance.

On trouvera aussi probablement des écarts importants sur le terrain, dans les Ehpad et en psychiatrie, où des équipes ont pu ici ou là se mobiliser pour refuser les logiques d’abandon et aller au-devant des besoins des patients.

Comment dans ce cas débattre et mettre en lumière ces moments furtifs de bifurcation, comment continuer à les caractériser, à réfléchir à des pratiques instituantes à partir de ces derniers ?

Car nous sommes convaincus qu’on ne soignera pas l’hôpital public, profondément abîmé, sans remettre sur pieds de véritables collectifs de soin artisans d’un travail soigné, condition même d’une santé recouvrée – santé des patients comme des professionnels soignants eux-mêmes. Toutes ces expériences peuvent y aider.

Penser l’hôpital et le soin dans la cité

« Vers le soir, il fit la connaissance d’un aide-barbier qu’il avait vu travailler à l’ombre d’une voûte […]. Il passa la nuit sur le bord du fleuve, où il dormit auprès des bateaux et, dès l’aube, avant que les premiers clients ne vinssent dans la boutique du barbier, il se fit raser la barbe et tailler les cheveux, se les fit bien peigner et oindre d’huile fine. Puis il alla se baigner dans le fleuve »

Hermann Hesse, Siddhartha

Nous voulons penser le soin et les collectifs de soin de façon vivifiante et en mouvement, c’est-à-dire centrés non pas uniquement sur le seul hôpital mais en circulation dans la cité, sur tout le territoire, dans une véritable continuité des soins avec tous les relais possibles de la cité. L’atelier de Montreuil a commencé à ouvrir une voie originale pour nous aider à penser dans ce sens.

S’ouvrir sur la cité, s’attaquer aux cloisons physiques de l’hôpital, sans pour autant déserter l’hôpital-institution, connaître les environs, les compétences du terrain et du terroir pour fabriquer des liens et des rhizomes, sont précisément les principes qui fondent la psychiatrie de secteur* des origines. N’est-ce pas une source inspirante pour repenser la pratique du soin ?

D’aucun pourrait y voir une idée surprenante, voire décalée à l’heure où la psychiatrie publique, et de secteur en particulier, fait l’objet d’une destruction massive. Pourtant c’est incontestablement là, – pensons nous – dans les foyers de résistance de la psychiatrie publique encore présents, dans les fondamentaux du secteur, que les pratiques de continuité de soin, de soin ambulatoire, d’inventions les plus humanistes de collectifs de soin sont les plus riches d’enseignement.

Ainsi, témoigner de l’histoire de la psychiatrie de secteur, mettre en débat son originalité et son intérêt au-delà de la psychiatrie elle-même, est l’une des directions que nous avons choisi d’explorer contre vents et marrées, à contre-courant aussi sans doute.

Ce d’autant plus que des collectifs de soin hors les murs de l’hôpital ont vu le jour, tout particulièrement pendant la première vague et le premier confinement, au sein et au-delà de la psychiatrie, sous forme souvent d’« équipes mobiles » destinées à aller vers des populations ciblées, souvent pauvres, exclues, dans les quartiers populaires ou sans domicile. Ces initiatives renouent peut-être avec les prémisses aujourd’hui oubliées de la politique de secteur psychiatrique, ou révèlent peut-être aussi autre chose de notre manière de prendre soin ou de son manquement.

Que nous apprennent donc ces initiatives ? Quelles sont les personnes qui composent ces équipes mobiles ? Comment font-elles avec les populations concernées ? Que sont-elles en mesure de nous apporter sur la manière d’appréhender le « prendre soin » sur un territoire ? Comment se « maillent » leurs liens avec les acteurs institutionnels, les élus locaux et les collectivités, associations, les soins de premiers recours ? Et quelle place prend l’hôpital-institution dans ce cas ? Nous voulons mettre ces initiatives en débat, en faire l’inventaire, le bilan, poser la question de leur pérennité….

Nous souhaitons penser aussi ce qui se répète et se réinvente sous le coup de la nécessité et de l’urgence vitale.

Nous savons néanmoins que toute tentative de réinvention des pratiques du soin un peu sérieuse se heurtera automatiquement aux institutions existantes, en particulier par le biais de la contrainte budgétaire, obligeant ainsi à replacer la santé et la démocratie dans un cadre structurel plus large. Pour rendre cette bifurcation crédible, il est nécessaire d’imaginer une forme d’indépendance décisionnelle afin de pouvoir investir massivement dans le prendre soin sans le chantage habituel à la dette ou aux desiderata des marchés financiers.

Nous voulons engager le travail de réflexion et de conception avec le plus grand nombre, faire de la santé un véritable bien commun*. Nous voulons remettre le soin au cœur ! le prendre soin dans nos sociétés !

Les témoignages de terrain, tout comme notre volonté de débats en collectif, révèlent un des principes fondateurs de la démocratie, à savoir mettre en réflexion une conflictualisation toujours en mouvement afin de créer de l’événement inventif.

Nous vous donnons rendez-vous.

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Coordination : Fabienne Orsi

Contributeurs : Cherine Benzouid, cardiologue (CIH), Philippe Bizouarn, médecin réanimateur (CIH), Michel Bourelly (militant de la lutte contre le sida), Patrick Chemla, psychiatre (La Criée), Benjamin Coriat (Economistes atterrés), Thomas Coutrot (Ateliers travail et démocratie), Sandrine Deloche, pédopsychiatre (Collectif des 39), Christine Depigny-Huet (Compagnie pourquoi se lever le matin !), Delphine Glachant, psychiatre (Printemps de la psychiatrie), Sébastien Firpi, psychologue (Appel des appels), Olivier Frachon (Compagnie pourquoi se lever le matin !), Julien Lusson, ergonome (Ateliers travail et démocratie), Fabienne Orsi (Economistes atterrés), Fabien Paris, infirmier (CIU), Martin Pavelka, pédopsychiatre (Collectif des 39), Gaëlle Roig, psychologue (CIH), Frédérick Stambach, médecin généraliste (Soignons ensemble), Julien Vernaudon, gériatre (Soignons Ensemble).

Avec la participation de Sabrina Calvo et Stuart Pluen Calvo.

 *Ce texte n’engage que ses auteurs et non l’ensemble des signataires de l’Appel à la tenue d’Ateliers pour la refondation du service public hospitalier. 

Crédit photo : © Jean de Peña

Notre Manifeste est en ligne !

Notre éditeur a mis en accès libre notre ouvrage collectif « Soigner-Manifeste pour une reconquête de l’hôpital public et du soin. » qui contient notamment notre Manifeste.

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